"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 2 octobre 2012

LE SYNDICAT OU LA REVOLTE DE CLASSE?

Tiens tiens, à l'heure où les pingouins du gouvernement gauche mollasse et leurs affidés de la syndicratie déplorent la fermeture de Florange avec l'aquoibonisme des témoins d'un acccident de voiture, la presse bourgeoise déplore l'absence de "syndicat libre" face aux explosions prolétariennes inévitables et qui se multiplient en Chine. La question que j'ai posée au journaliste de Libération - vous croyez qu'avec de pareilles conditions de travail dignes du 19e siècle, des "syndicats libres" auraient éteint l'incendie - il n'y eût point de réponse. Mais l'article vaut d'être reproduit ici, et possède une autre teneur que l'épisode des "révolutions de jasmin" nationalistes et écroulées dans la musulmanie. Le plus triste est que les ouvriers européens ne montrent pas l'exemple des vrais axes pour généraliser la lutte contre le capitalisme, et se laissent enfermer et humilier par des axes de lutte étroitement nationale de notre "libre syndicratie" collaborationniste de l'Etat bourgeois. Vivement l'éruption des seules organisations immédiates de classe valables pour la révolte prolétarienne généralisée: les Conseils ouvriers!

Chine : la mort ou la révolte, dilemme des ouvriers de Foxconn

Récit Les employés d’une usine fabriquant des iPhone, théâtre la semaine dernière d’une émeute, dénoncent leurs conditions de travail.

Par PHILIPPE GRANGEREAU De notre correspondant à Pékin
Dans une Chine en fin de révolution industrielle mais privée de syndicats libres, les ouvriers à la chaîne laissent parfois éclater leurs frustrations de manière spectaculaire. C’est ce qui s’est passé dans la nuit de dimanche à lundi dernier dans l’usine Foxconn de Taiyuan, dans le nord-ouest du pays, où sont fabriqués les gadgets dont raffolent les Occidentaux, tel l’iPhone d’Apple. Une bagarre entre ouvriers et vigiles s’est soldée, de source officielle, par une quarantaine de blessés. Un employé interrogé par Radio Free Asia a fait état de sept morts, mais la compagnie a démenti qu’il y ait eu le moindre décès.
Plus de 79 000 personnes - soit 20 000 de plus que l’effectif total de Renault en France - travaillent jour et nuit dans ce complexe industriel gigantesque. Celui-ci n’est toutefois qu’une fraction de l’empire Foxconn, qui emploie plus d’un million de personnes en Chine. Environ 2 000 travailleurs ont été impliqués dans l’émeute. Selon une version des faits, l’échauffourée aurait démarré après qu’un garde eut frappé un ouvrier qui serait entré ivre dans l’usine. Selon une autre version, c’est une bataille à coups de poing entre deux employés qui aurait déclenché les troubles. Plusieurs bâtiments ont été saccagés, des véhicules incendiés, et 5 000 policiers antiémeutes ont dû intervenir pour ramener l’ordre. La production, suspendue deux jours, a repris sous bonne garde.
«Camps de travail». « Je ne suis absolument pas surpris de ce qui s’est passé, commente Xie Xiangbin, qui a quitté l’usine Foxconn de Shenzhen (sud-est) en juillet après y avoir travaillé pendant trois ans. Je dirais même que ce genre d’explosion de colère est inévitable, car les conditions de travail sont insupportables, elles poussent les ouvriers soit à l’émeute, soit au suicide.» Entre janvier et novembre 2010, 18 salariés de Foxconn se sont jetés du haut des dortoirs où ils logeaient : 14 sont parvenus à mettre fin à leurs jours. Un rapport produit par 20 universités chinoises qualifia alors ces usines de «camps de travail». La vague de suicides s’est estompée depuis que Foxconn a fait placer des filets sous les fenêtres de certains dortoirs. L’entreprise a également «privatisé» une partie de ses logements afin de se dégager de toute responsabilité directe. De manière assez singulière, la direction demande depuis 2011 à ses recrues de signer un document engageant leurs familles à ne pas solliciter d’indemnisation s’ils mettent fin à leurs jours.
Globalement, ces mesures ont eu un effet : seulement quatre employés se sont défenestrés en 2011, et, en 2012, un seul, le 14 juin. Tous sont morts sur le coup, ou peu après. Rapporté au nombre de ses ouvriers en Chine (1,1 million), le taux de suicide chez Foxconn est plus faible que la moyenne nationale. Il demeure néanmoins qu’il y est perçu comme un mode d’action revendicatif. En janvier, faute d’autre recours, 150 employés de l’usine Foxconn de Wuhan se sont rassemblés sur le toit de l’entreprise, en menaçant de se suicider collectivement si la direction n’améliorait pas leurs conditions de travail. Ces grévistes kamikazes demandaient surtout que soit mis fin à l’atmosphère de camp de travail de l’usine. Souvent enfant unique et diplômé, le jeune ouvrier d’aujourd’hui n’est pas prêt à faire les mêmes sacrifices que ses parents. Or les employés sont toujours entassés à 10 par chambrée, et hommes et femmes sont strictement séparés.
Rythme infernal. « Quand j’ai mis les pieds dans l’usine pour la première fois, on nous faisait subir quatre heures d’entraînement militaire par semaine. Il y avait aussi des réunions quotidiennes avant et après le travail. Aucune de ces heures n’était payée », rapporte Xie Xiangbin. Ouvrier soudeur, il travaillait dans un atelier si bruyant que son audition en a été gravement affectée. L’indemnisation accordée par Foxconn ne suffit pas à couvrir les frais de son traitement et il a entamé une procédure de compensation devant un tribunal. Ces trois dernières années, les accidents du travail chez Foxconn ont fait quatre morts et une centaine de blessés.
A Taiyuan comme dans les autres usines de Foxconn, le temps de travail hebdomadaire dépasse largement les soixante heures légales (heures supplémentaires comprises), surtout quand il faut sortir les nouveaux iPhone, car les délais de fabrication sont très courts. Les employés s’en plaignent rarement, car leurs revenus augmentent dès lors considérablement. Mais peu supportent longtemps ce rythme infernal et, pour cette raison, le renouvellement de la main-d’œuvre est constant. A Taiyuan, il faut remplacer chaque jour le départ de 600 employés. Mais remplir les chaînes de montage est de moins en moins facile car, comme l’expliquent de nombreux experts, les ouvriers chinois sont de plus en plus éduqués et recherchent des emplois qui leur offrent des perspectives. Or Foxconn, dit Xie, « n’est qu’une vaste sweat-shop [atelier d’esclaves, ndlr] où l’ouvrier est considéré comme un élément interchangeable qui n’a pas droit à la parole. Les syndicats officiels censés défendre nos intérêts sont bidon… Les gardes et les contremaîtres nous couvrent d’insultes à longueur de journée et les libertés individuelles y sont partout bafouées ».
AJOUT SAMEDI 6 OCTOBRE:
 

Ils s'opposent à de nouvelles règles de qualité qui encadrent la production du smartphone d'Apple. Le sous-traitant Foxconn parle «d'incidents isolés».

Les usines chinoises où est assemblé l'iPhone 5 sont à nouveau secouées par un mouvement social. Selon l'organisation China Labour Watch, des milliers de salariés se sont mis en grève vendredi dans à Zhengzhou, au centre de la Chine, après que la direction eut augmenté les niveaux de qualité des produits et demandé aux salariés de travailler un jour férié.
«Selon les salariés, de nombreuses lignes de production de l'iPhone ont été paralysées toute la journée dans plusieurs bâtiments de l'usine», indique un communiqué de China Labour Watch. «Cette grève vient du fait que les ouvriers subissent trop de pression», précise le directeur de cette organisation basée à New York, Li Qiang. L'agence de presse locale Xinhua News Agency a elle aussi relayé des informations faisant état d'arrêts de travail.
D'après l'ONG, le surcroît de «pression» a été provoqué par les nouvelles règles de contrôle qualité qui encadrent la production de l'iPhone 5, dictées par Apple et la direction de l'usine. Elles limiteraient à 0,02 mm les imperfections tolérables sur les iPhone 5 produits. «Les employés ne peuvent pas fabriquer des iPhone qui répondent à ces standard», déplore China Labour Watch.

Foxconn dément toute grève

Sur les forums de discussions d'Apple, des acheteurs se plaignent d'avoir découvert des rayures et des éraflures («scuff», en anglais) dès la sortie du smartphone de sa boîte. Ces soucis ont été qualifiés de «scuffgate», sur le modèle de l'«antennagate», le problème de réception qui avait frappé l'iPhone 4. Le dos de l'iPhone 5 se montre notamment sensible aux rayures. Un comportement «normal» pour de l'aluminium, avait commenté Apple.
Foxconn a réagi samedi en niant toute grève. «Il n'y a eu aucun arrêt de travail dans cette usine ou dans quelque autre usine de Foxconn et la production s'est poursuivie comme prévue», a affirmé le sous-traitant d'Apple. Foxconn reconnaît toutefois deux «incidents isolés», qui ont conduit à augmenter immédiatement les effectifs. Il affirme aussi que les ouvriers qui ont travaillé lors des congés de la fête nationale étaient volontaires et payés trois fois plus, comme le veut la loi.
En septembre dernier, 40 personnes avaient été blessées à Taiyuan, dans la province du Shanxi, après une «dispute entre plusieurs salariés pour motifs personnels» qui a dégénéré en bagarre impliquant 2000 personnes dans un dortoir, selon un communiqué diffusé par Hon Hai, la société mère de Foxconn. En 2010, au moins 13 salariés de Foxconn sont morts, apparemment à la suite de suicides, dus, selon les militants, aux dures conditions de travail.
(avec AFP et AP)

lundi 1 octobre 2012

DELINQUANCE ET BOLCHEVISME



Les deux jeunes gens tués vendredi dans un quartier sensible de Grenoble ont trouvé la mort dans une "bagarre d'une grande banalité", "ayant tourné à un déchaînement de violences difficilement explicable", a indiqué samedi le procureur de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, au cours d'une conférence de presse. Ce procureur  de Grenoble a écarté la thèse du règlement de comptes : "on n'est pas du tout dans le contexte qu'on voit parfois de règlement de comptes, de gangs, les deux victimes n'étaient pas connues des services de police", a-t-il expliqué. "L'un d'entre eux était étudiant en master, sa mère est pédiatre. Nous n'avons pas à faire à des délinquants. On n'est pas du tout dans le cadre de l'appropriation du territoire ou du trafic de stupéfiants", a-t-il souligné. Les deux jeunes gens, de 21 et 22 ans, auraient voulu protéger leurs petits frères, à l'origine d'une altercation survenue à la sortie d'un lycée d'Echirolles, dans la banlieue grenobloise. "Un mauvais regard" pourrait en être à l'origine. 
Le procureur  a qualifié " de "bagarre d’une grande banalité (sic )" le lâche assassinat à coups de barre de fer, de battes de baseball et de couteaux des deux jeunes grenoblois, l’un noir et l’autre d’origine arabe mais bien français dans la mort tous deux (pour moquer le stupide Zemmour qui voit ce couple arabo-africain comme un danger et une généralité explicative). Ces victimes sont de jeunes hommes qui ne demandaient qu’à vivre, aimer et travailler dans ce pays. La banalisation du fonctionnaire de justice de classe et la dédramatisation des médias ont quelque chose d’hallucinant.  Donc il n’y a rien qu’un mauvais regard… et au journaliste qui faisait quand même remarquer (mais de quoi il se mêle !) que « de son temps « (20 ans en arrière précisa-t-il), les mauvais regards ne se traduisaient pas par des lynchages à armes blanches, l’observateur des tensions imaginaires (ou d’un nom approchant) répondit en résumé : et bien aujourd’hui c’est comme ça (!) ; ou quasiment ! L’explication apaisée et « démineuse » se révélait finalement plus terrifiante que les plus funestes commentaires : puisque désormais en effet c’est « pour rien », pour un « mauvais regard » que le simple passant serait conduit à laisser toute espérance en une vie banale au coin d’une rue aussi banale ! Hallucinant cette dédramatisation organisée qui va jusqu’à organiser une « marche blanche » avant toute arrestation ou toute enquête (comme s’il ne fallait pas déranger les poulagas pendant leur week), ou comme si la gauche mollasse voulait prévenir une émeute « légitime » du quartier hébergeant les bandes de tueurs lâches, quoique adolescents défavorisés !
Ces ados défavorisés, échoués scolaires des banlieues, ont de la chance de vivre sous le règne de l’arbitraire bourgeois et policier contre les victimes, en temps de guerre ou de révolution, ados ou pas, les auteurs d’actes de barbarie sont passés illico par les armes. On peut argumenter en long et en travers sur « la faute à la société »…
et il y a une faute à la société car le capitalisme encourage tous les jours le meurtre sous toutes ses formes. Dès la maternelle, puis à l’école publique, les enfants sont encouragés à se tuer les uns les autres, c’est à celui qui aura les fringues les plus au top, qui humiliera celui ou celle qui n’a point les moyens de s’en offrir, qui le poussera à les lui voler, en frappant fort s’il le faut. L’acquisition des diplômes est ensuite une distinction qui vous élève en éliminant les autres. Le sans-diplôme est une merde pour toute sa vie. Le chômeur français aura la haine pour l’immigré qui a trouvé du travail. Dans tous les pays la hiérarchie en entreprise pousse de plus en plus de prolétaires à se suicider parce qu’elle les a décrétés « incompétents » ou à charge. L’assassinat n’est donc pas du simple domaine du faits divers dramatique, il suinte de cette société pourrissante qui se soucie plus du manque de réserve en pétrole que du manque d’humanité.
On peut penser au surplus qu’il y a une croissance de la violence interindividuelle comme jamais, de nos jours. Signes évidents de décadence générale du capitalisme : l’adolescence est devenue un « problème à risque » - relayant et dépassant la peur de l’islamisation générale - avec ces constats de faillite éducationnelle, familiale et sociétale : décrochage scolaire, retards à l’apprentissage, troubles émotifs, ultra-violence chez les garçons, détresse psychologique  chez les filles, troubles du comportement, déficits d’attention, déficience intellectuelle légère, comportements anti-sociaux, appartenance cachée à un gang, drogue et alcool, cruautés physiques… quand ce n’est qu’une infime minorité qui commet les délits les plus graves.
Tous ces constats ne pourront jamais calmer la douleur des proches et parents des victimes, ni la promesse de la belle société communiste sans violence et pétrie de bonheur pour quand on sera tous morts…
Et pourtant, si l’on comprend fondamentalement que le capitalisme décadent – pas en soi par paupérisation, mais par confusion et incitation au meurtre subliminal dans la compétition – est responsable des cruautés d’enfants et d’adolescents, et pas simplement les carences dans l’éducation et la nullité de l’Eduque naze républicaine, comment ne pas se poser la question des héritages funestes en vue d’une autre société. Comment ne pas comparer avec les efforts au cours de la révolution russe, par la nouvelle réorganisation bolchevique, où l’on voit que l’opposition entre répression aveugle et efforts de réinsertion restent patents.
L’historienne italienne Dorena Caroli a analysé cette période où les fondateurs de la République des Soviets envisageaient  de donner aux « jeunes abandonnés » et délinquants un travail pour en faire des « hommes nouveaux ». L’Etat « ouvrier » mit en place un système de prévention et de réinsertion en s’appuyant sur un corpus de textes administratifs imposant des commissions chargées des affaires de mineurs, des orphelinats, des communautés de travail et divers types de travaux pour adolescents. Dorena Caroli fait renaître la réalité sociale et institutionnelle des deux premières décennies de la révolution communiste en Russie, au cours desquelles la situation des enfants et des adolescents abandonnés a continué de s’aggraver malgré les tentatives d’une commission centrale pour améliorer leur vie. Guerre civile, famine, planification économique donnent le cadre de cette histoire sociale qui s’étend de l’époque de Lénine où primaient l’éducation et la formation de « l’homme nouveau », jusqu’à la période stalinienne où la punition des enfants abandonnés (hooligans) a pris le dessus et où, simultanément le droit pénal a glissé vers le droit administratif policier.
Dorena Caroli commence par nous apprendre que, selon la légende, Rome et d’autres villes célèbres de l’Antiquité ont été fondées par des enfants abandonnés selon le rite divin (cf. J.Boswell, Au bon cœur des inconnus, Les enfants abandonnés de l’Antiquité à la Renaissance, Gallimard 1988). Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que les Etats ont commencé à se soucier de ces enfants comme catégorie à risque, susceptible de menacer l’ordre social de la bourgeoisie et des monarchies. La quantité d’enfants sans famille augmenta d’une façon catastrophique en Russie à la suite de 14-18, puis la guerre civile jusqu’en 1920 et par la famine dans le bassin de la Volga. A la fin de l’année 1920 on comptait plus de deux millions d’enfants abandonnés… Ce n’était pourtant pas la faute du pouvoir bolchevique, mais cette masse d’enfants exhibée servit à symboliser l’horreur du bolchevisme pour toute la bourgeoisie mondiale.
Calqué sur le statut élaboré avant la révolution par le juge pour enfants de la capitale tsariste en 1913, le statut bolchevique adopté en 1918 déboucha aussi sur la création, unique en Europe, d’un « droit de l’enfance », qui regroupait toutes les branches du droit qui concernaient d’une façon ou d’une autre la condition des enfants et leur relation avec le milieu environnant : lois concernant la protection du développement physique, intellectuel, l’éducation à un comportement social, lois concernant la protection des droits de propriété ainsi que du travail juvénile. L’effort portait vers une individualisation du traitement des mineurs, de prévention et de réinsertion, dans un respect de chacun évitant la politique des cheveux ras ou, comme on pourrait dire, l’obligation pour tous du col Mao ;
L’amalgame des concepts de jeune abandonné et jeune délinquant présentait cependant des limites dans la mesure où sa raison d’être dépendant du succès de la mise en place des réformes éducationnelles. Au fur et à mesure que la révolution croupissait dans l’isolement et avec la croissance de l’esprit militariste stalinien, la garantie d’une prise en charge équitable de tous les enfants et ados dans l’esprit du communisme à venir, s’est effritée. Les jeunes se mirent à retomber dans la délinquance et la marginalisation sociale. Dans le premier cas, ils tombaient dans les filets de la justice, avec de moins en moins d’espoir de se réinsérer ; et dans le second cas ils devenaient encore plus rétifs à l’organisation de plus en plus militaire du travail. Ils furent progressivement inclus parmi les « éléments étrangers », « désorganisateurs » et « ennemis du peuple ».

Il me faudra revenir une autre fois le parcours d’un éducateur qui m’avait fasciné il y a plus de trente années : Anton Séménovitch Makarenko (1888-1939). Instituteur à 17 ans, il grimpera dans la carrière scolaire – directeur d’école puis professeur d’histoire – mais pour se consacrer après la révolution de 1917 à l’organisation d’une colonie de réinsertion de mineurs grands délinquants –la « colonie Gorki » - près de Potlava – qui se constituera malgré des heurts et des rixes. Les « poèmes pédagogiques » de Makarenko seront connus et admirés dans le monde entier. Les adolescents de la colonie sont mis devant des responsabilités civiles réservées d’habitude aux adultes : ils travaillent pour vivre (activité agricole), gardent les routes et font la police dans leur secteur. Il y aura jusqu’à 97 jeunes à la fois. Makarenko aura pu continuer son expérience depuis 1920 jusqu’à sa mort en 1939. Il récusait que la situation éducationnelle soit limitée à la seule relation éducateur-éduqué. Il considérait qu’au départ l’éducation familiale devait donner les notions de dévouement et de justice, et qu’elle devait apprendre à l’enfant à avoir conscience de ses responsabilités. L’éducation au respect des autres commence très tôt : ce qui n’a pas été fait avant trois ans est difficile à rattraper. Le travail anoblit l’homme, encore faut-il qu’il ne soit ni contraint ni aliénant. Le jeu permet à l’enfant de pendre confiance en ses forces. Makarenko pense qu’il faut « être vrai » avec les jeunes enfants délinquants. L’école est une société en réduction, l’enfant y est membre d’une communauté où il peut apprendre à se conduire d’une manière efficace… Mais voilà tout cela n’est pas applicable dans notre société d’injustice et de loi du plus fort où les profs considèrent leurs élèves comme des « inférieurs » et les élèves leurs profs comme des flics…
C’était un petit coup de chapeau aux pionniers d’une société en transition, qui n’efface pas le chagrin face aux meurtres impunis de Grenoble.